Des contours incertains. Pierre Dorion n’était ni aristocrate, ni connu. On ne dispose donc d’aucune peinture ou croquis le représentant, non plus que d’une histoire de sa vie. Il serait arrivé en Nouvelle-France vers 1684 comme matelot. Il est partie prenante de cette cohorte des gens humbles, en apparence sans relief et sans histoire, qui ont défriché nos forêts, remonté le cours de nos rivières et contribué à développer la Nouvelle-France. Force est de nous rabattre sur les quelques repères qui permettront, à tout le moins, de suivre les principales étapes de son existence en Nouvelle-France.
Un colon travaillant et entrepreneur. Plusieurs actes notariés témoignent de son esprit travaillant et entrepreneur. Et, contrairement à Isaac Bédard, qui eut maille à partir avec ses voisins et dut comparaître devant le Conseil souverain en 1664 afin de répondre de ses actes (voir Chapitre 54, Isaac Bédard, le premier de cordée), Pierre Dorion semble avoir vécu en bonne intelligence avec son entourage. Il se mariera, aura de nombreux enfants, et décédera à Québec, le 26 avril 1724. Il n’avait que soixante-six- ans.
Pierre Dorion épouse Jeanne Hédouin… Pierre Dorion épousait le 18 janvier 1688 Jeanne Hédouin, fille de Jacques Hédouin, fermier d’Orsainville, selon le rite catholique. Il avait préalablement passé contrat devant le notaire Gilles Rageot, le 2 janvier 1688. L’original du contrat de mariage, que j’ai pu consulter, est à peu près illisible. L’épousée était née le 5 octobre 1670 à Québec. Elle avait donc dix-huit ans. Le mariage fut célébré en la paroisse Notre-Dame-de-Québec. Nulle part la religion d’origine du nouveau marié n’est indiquée. Ils auront treize enfants.
Comme on peut le constater, il n’était pas nécessaire d’abjurer sa religion d’origine pour se marier selon le rite catholique. Il suffisait de ne rien mentionner…
…fille de Jacques Hédouin, de la seigneurie Notre-Dame-des-Anges. Jeanne était la fille de Jacques Hédouin, dit Laforge, né entre 1625 et 1631 et originaire d’Orval, près de Rouen, en Normandie, et dont les parents étaient Romain Hédouin et Marguerite Bachelin. Ce Jacques Hédouin était arrivé en Nouvelle-France vers 1655. Le 7 février 1656, il avait épousé Jeanne Brassard, fille d’Antoine Brassard et de Françoise Méry. Ensemble ils auront quatorze enfants, dont Jeanne.
Fait intéressant : Jacques Hédouin, tailleur, s’était installé selon le recensement de 1666 dans la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges, à Charlesbourg. Il décédera à Petite Auvergne, donc à Charlesbourg, le 23 août 1705, à l’âge vénérable de 80 ans. Le nom Hédouin, parfois orthographié Esdouin, est aujourd’hui rare. Le surnom de Laforge semble l’avoir supplanté complètement.
Lorsque Pierre Hédouin, frère de Jeanne, épousera Marie-Agnès Pilote à Charlesbourg, le 8 avril 1798, un des témoins à son mariage sera Pierre Dorion. C’est ainsi que se tissaient les liens dans une famille. Les Bédard, les Hédouin et même les Dorion se connaissaient-ils? On peut l’imaginer, mais on ne détient aucune preuve à cet égard.
Dorionne ou « Dorion »? Comment s’écrivaient et comment se prononçaient le nom de famille Dorion, à l’origine, du moins ici en Nouvelle-France? La consultation de l’acte de mariage de Pierre Dorion avec Jeanne Hédouin nous renseigne à cet égard Et nous apprend que Pierre Dorion ne savait ni lire ni écrire.
On note que le nom de famille de la jeune mariée est orthographié Édouin et non Hédouin. Et que celui du marié est orthographié « Dorionne » sans doute parce que dans le dialecte de la langue provençale du Béarn, les finales étaient plus sonores et chantantes qu’en français d’oc. On peut supposer que c’est ainsi que le marié, analphabète, avait communiqué son nom au prêtre officiant.
À partir de là, cependant, le nom de famille Dorion sera orthographié « Dorion » dans les divers actes notariés signés. Mais la prononciation de la finale se poursuivra sans doute sur quelques générations, comme en font foi les propos des Trois petites Dorionnes (voir Chapitre 99)!
Un homme honnête. Pierre Dorion honorera toujours ses dettes et les remboursera rubis sur l’ongle, révélant à la fois son caractère entreprenant et son honnêteté. Il saura construire un solide patrimoine au cours des années. Michel Langlois, dans son Dictionnaire biographique des ancêtres québécois (1608-1700) publié chez Hurtubise en 1998, dresse la nomenclature des diverses transactions auxquelles procédera Pierre Dorion au cours des années :
Mais où choisit-il de s’installer, avec sa femme et ses enfants? À Charlesbourg? Ou ailleurs?
L’installation à Charlesbourg : une hypothèse qui s’avère erronée. Selon Joseph Trudelle, dans son ouvrage intitulé Charlesbourg, Mélanges historiographiques (Québec, Faveur Imprimeur, 1896, 255 pages, pp. 127 à 129 incl.), Pierre Dorion se fit d’abord concéder une terre dans le deuxième rang du Fief d’Orsainville, de deux arpents sur trente-huit de profondeur, ce qui donne à penser qu’il prit racine à Charlesbourg. Mon grand-oncle, David Gosselin, dans son ouvrage sur la généalogie des familles de Charlesbourg, abonde dans le même sens : « Il est le premier ancêtre canadien de toutes les familles Dorion. Arrivé à Québec en 1684, il acquit une terre dans le deuxième rang du fief d’Orsainville, Charlesbourg, et une couple d’années plus tard, il en acheta une autre, voisine de la première, mais située sur le fief de l’Espinay. C’est là où il a élevé sa famille. Charlesbourg compte encore cinq ou six familles Dorion, descendant de Pierre » (David Gosselin, Dictionnaire généalogique des familles de Charlesbourg, déjà cité, voir à la rubrique « Dorion », non paginée, note de bas de page).
Cette hypothèse ne tient pas la route.
Réf. : Pour vous y retrouver avec la famille Dorion, consultez l’arbre généalogique des Dorion